Le discours des non-dits

La mine de Salsigne est le point d’encrage des œuvres de Claire Dutrait et Nicolas Rouillé : Vivre en Arsenic (Actes Sud) et L’or et l’arsenic (Anacharsis).

Salsigne est une commune à vingt kilomètres de Carcassonne, dans le département de l’Aude, qui a abrité des activités d’extraction de minerais. Elle a notamment été la plus grande mine d’arsenic du monde. Sa fermeture en 2004 a entrainé une retraite prématurée de ses salariés. Malgré sa fermeture relativement récente, le temps fait son œuvre, entrainant la disparition de certains témoins avec l’histoire qu’ils ont à raconter.
Les deux auteurs, lors de leur étude sur les lieux, font le constat d’un silence aigre autour de la pollution de la vallée. Les deux écrivains trouvent alors le désir de raconter, non pas ce qui ne veut pas se dire mais ce qui se dit sans mot. Pour Claire Dutrait, son ouvrage n’est « ni un documentaire ni un compte-rendu d’enquête ». Son livre répond aux considérations de son travail de recherche : « l’éco-poétique ». Il s’agit d’un mouvement littéraire né dans les années 90 dans le milieu universitaire étasunien. L’éco-poétique expérimente « les formes de langage qui permettent d’interroger notre posture sur les natures ». Pour l’autrice, la situation de la mine révèle du « trou, la pollution troue le langage, elle tait toutes les positions et se désagrège. Le langage doit ainsi s’accorder avec ce vertige. Vivre en Arsenic travaille les possibilités offertes par l’omission et instaure un discours sensible, recomposé. »
Nicolas Rouillé ne partage pas les mêmes considérations. Son livre est un « montage de parole ». Il a composé à partir des témoignages de 140 personnes. Pour lui, les points de vue se complètent pour aboutir à une histoire commune et recouvrir le sujet. Néanmoins, les deux écrivains ont le désir d’offrir une parole à celles et ceux qui se sont peu ou pas exprimés. Dutrait met notamment en avant une secrétaire du régime minier et un personnage de la sécurité sociale des mineurs. L’anonymat s’efface pour faire revivre les traces de l’histoire de la vallée que les politiques extérieures estompent activement.