Dépendance aux décisions politiques, moyens techniques et financiers limités, parfois volonté très modérée des plus anciens de nos responsables militaires… Les armées françaises semblent avoir bien du mal à relever le défi de l’adaptation au changement climatique.
« Sans mentir, je pense que ça va être la conférence la plus intéressante de notre journée… » Ces mots ont été prononcés par un étudiant, au beau milieu de l’immense file de festivaliers qui s’étirait quai Carnot, espérant pouvoir accéder à l’espace Georges-Sadoul vendredi après-midi. De son côté, Florian Opillard, directeur scientifique du FIG 2023 et animateur de la table ronde « Les armées face au changement climatique » avait du mal à en croire ses yeux au moment d’ouvrir les débats. « Je ne pensais pas qu’on mobiliserait autant avec ce thème… »
Etait-ce le thème, qui implique une vieille dame peu encline à communiquer ? Etait-ce la qualité des intervenants, François Gemenne, codirecteur de l’observatoire Défense et Climat du ministère des Armées, Sofia Kabbej, doctorante « Changement climatique et sécurité en France », chercheuse associée à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et coresponsable scientifique de l’observatoire Défense et Climat, et Adrien Esteve, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) ? Ou était-ce tout simplement l’enjeu que représente, non clairement chiffré mais indéniable, le poids des activités militaires dans la dégradation de l’environnement, qui induit une urgence à faire preuve d’adaptabilité ?
Probablement les trois, mon capitaine… En tout cas, cette table ronde a tenu toutes ses promesses, tiraillée par un paradoxe finalement classique : d’un côté, le contexte mondial qui incite les états à renforcer leur armée et leur réarmement ; de l’autre, la prise de conscience (pas forcément unanime) de la nécessité de décarboner. Et au milieu, la mutation des missions sécuritaires vers plus d’humanitaire. Une mutation des activités qui s’explique en partie par le changement climatique ; et un changement climatique qui peut aussi s’expliquer par l’activité militaire… La quadrature du cercle ? Pas forcément. « La guerre du Vietnam a marqué un tournant dans la perception que l’on avait du lien entre la multiplication des conflits et la dégradation écologique », affirme Adrien Esteve. Qui cite « l’agent orange », le défoliant déversé par l’armée américaine pour tuer la flore et mettre à nu les terres qui abritaient les indépendantistes asiatiques. « Ses conséquences sur l’environnement et la santé sont encore terribles aujourd’hui. La réflexion sur ce que devraient faire ou non les armées par rapport à l’environnement est née de cette utilisation et des recherches très poussées sont menées depuis. »
Les mêmes programmes d’utilisation des hydrocarbures
En France, on sent poindre la bonne volonté et une vraie sensibilisation à l’écologie chez les plus jeunes des autorités militaires. « Mais pour l’instant, on n’envisage pas de sortir du pétrole puisque nous avons les mêmes programmes relatifs à l’utilisation des hydrocarbures d’ici 2050 », soutient Adrien Esteve, qui rappelle cet adage : « La dernière goutte de pétrole de la planète servira à alimenter un char ». « L’adaptation se fait au niveau de toutes les strates, explique Sofia Kabbej. C’est donc très long. Et la stratégie Défense et Climat du ministère des Armées date de 2022, c’est donc très récent. » « Il y a la nécessité de répondre à une pression sociale et citoyenne, d’autant que sous l’effet du changement climatique on constate une transformation profonde de la doctrine militaire, résume François Gemenne. Sauf que faire du sécuritaire ou de l’humanitaire, ça n’est ni les mêmes moyens à allouer ni les mêmes formations. »
Est-ce qu’avoir recours à des véhicules et des engins électriques nous rendrait plus vulnérables, moins efficaces, lors des opérations ? Est-ce qu’au contraire la France n’aurait pas intérêt à cesser sa dépendance aux pays fournisseurs de pétrole ? Le sujet est sur la table. Mais il est loin d’être clos. Une question venue de la salle a permis de mettre tout le monde d’accord : « L’armée n’est-elle pas le gardien du temple des énergies fossiles ? » François Gemenne, Sofia Kabbej et Adrien Esteve se regardent. Et tranchent rapidement. « Si. »