Territoire invité de la 35e édition du Festival International de Géographie, le massif alpin constitue une frontière naturelle pour contrer la migration massive. Une frontiérisation contre laquelle ont tenté de lutter Cristina Del Biaggio et Sarah Bachellerie, auteures d’une conférence tenue ce dimanche 6 octobre à l’INSIC.
On pourrait penser qu’en rassemblant huit États et en étant constituées de nombreux corridors internes, les Alpes forment un territoire effaçant toutes frontières. C’était le cas jusqu’en 2015, année du début d’un « processus de frontiérisation ». Cette expression signée Cristina Del Biaggio souligne « la distinction entre les désirables et indésirables » selon les mots d’Achille Mbembe repris par la conférencière. En d’autres termes, l’expression fait la différence entre un migrant et un non-migrant.
Concrètement, ce processus se matérialise par différentes actions comme la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, la réactivation des accords de réadmission mais aussi la collaboration entre les différents pays pour mettre en place des patrouilles mixtes voire, dans un cas extrême, la mise en place d’une barrière comme entre la Croatie et la Slovénie.
« Les contrôles se font avec un profilage social et racial aux postes-frontières », souligne Sarah Bachellerie en précisant que les cibles varient en fonction des mouvances migratoires. Discutable, cette méthodologie entraîne différentes tensions entre les habitants solidaires et ceux qui sont hostiles.
Si des mouvements de solidarité existent avec la création d’associations notamment, cela ne suffit pas à contrer tous les effets néfastes de l’hostilité. Pour éviter les contrôles, les migrants n’hésitent pas à prendre de l’altitude pour atteindre des zones non-civilisées et, par conséquent, dangereuses. Pour caractériser ce phénomène, Sarah Bachellerie parle d’« escalade chronologique ».
Conséquence directe, la mortalité évolue. « Entre 1993 et 2024, il y a eu 178 morts minimum dont 84 % entre 2015 et 2024 », détaille Cristiana Del Biaggio. Le cas de Blessing Matthew, exemple parmi tant d’autres, a intéressé la géographe qui a travaillé avec la doctorante Sarah Bachellerie pour mener une contre-enquête au sujet de l’impact des contrôles frontaliers sur la mort de cette Camerounaise en mai 2018. Comme l’enquête initiale, celle-ci sera rejetée malgré l’étude des contradictions dans les déclarations des gendarmes dans le dossier pénal ou l’intervention d’un témoin. « Cette enquête est un échec sur le plan judiciaire mais c’est un vrai succès médiatique ». Le salut passera peut-être par là…